Article paru dans Le Particulier.

 Réseaux sociaux qui poussent à la publication de photos privées, forums de discussion où nos opinions sont archivées pendant des années. . . la Toile garde tout en mémoire.

 

Comment nous laissons des traces sur Internet

 

La frontière entre vie privée et vie publique vole en éclats sur le Net, s’inquiètent les juristes. Tout internaute connaît les cookies, ces logiciels espions qui surveillent chacun de nos clics. Mais ceux-ci ne nous menacent que d’une avalanche de publicités ciblées sur notre profil, et sont faciles à déloger de notre ordinateur. Il y a pis: les traces que nous laissons sur Internet via les réseaux sociaux, les clubs et les forums. Le risque, à long terme, est la perte de la notion même de vie privée, expliquent les experts comme Olivier Iteanu, auteur de L’Identité numérique en question (éd. Eyrolles), qui prône la création d’un droit à l’anonymat.

Nos interventions, ou celles de nos amis, sur la Toile peuvent nous rattraper après des années. Ainsi des bons copains qui publient sur Facebook les images d’une fête bien arrosée. Il n’y a rien d’illégal dans la mesure où la personne ne s’est pas opposée à cette communication. Selon une étude britannique, 37 % des 18-24 ans postent des photos de tiers sans leur consentement. Les générations à venir s’apprêtent innocemment à être entièrement fichées. Les jeunes se dévoilent aujourd’hui sans avoir conscience que, plus tard, leur futur employeur se renseignera sur eux via le réseau Facebook. Ce que font déjà un tiers des recruteurs. Or, il est presque impossible de supprimer son compte du trombinoscope mondial qu’est Facebook. Tout au plus peut-on le désactiver, mais l’information reste stockée sur les serveurs du géant américain. Certaines entreprises de consultants interdisent maintenant à leurs salariés d’y figurer pour que les clients n’aient pas accès à leur expérience professionnelle.

De la même façon, rassemblées par des moteurs de recherche spécialisés, nos interventions sur les forums de discussion, les blogs ou les pétitions signées sur Internet permettent à tout un chacun, ami, futur employeur ou tiers plus ou moins bienveillant, de cerner nos centres d’intérêt. Or, personne ne limite ni ne contrôle cette somme de renseignements livrés sur le Net. En outre se pose le problème majeur de la durée de leur conservation.

Cette année, Yahoo a collecté 110 milliards d’informations, soit 810 par individu. De quoi figer en un profil des plus précis une image bien peu virtuelle de notre cyber-activité ! Récemment, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a demandé que les données personnelles présentes sur le Net ne puissent pas être stockées plus de 6 mois. Aux États-Unis, cette durée maximale vient d’être limitée à 18 mois ; jusque-là elle était de 30 ans.

Alors, quelle parade ? Les particuliers surveillent de plus en plus ce qui circule sur eux (yoname.com, en anglais, qui scrute tous les réseaux sociaux). Des sociétés proposent de nettoyer votre image. Les sites acceptent aussi très facilement d’effacer les éléments qu’ils ont conservés sur vous si vous en faites la demande.

Certains internautes utilisent systématiquement un “anonymiseur” (site intermédiaire qui ne livre pas l’adresse IP de l’ordinateur de la personne). Quand ils créent un blog, ils le font sous un pseudo, ne laissent jamais ni nom ni adresse, ou alors fictifs, ne répondent à aucun spam (le piège étant justement de se désinscrire d’un spam, vous validez alors votre adresse e-mail), effacent toujours l’historique de leur navigation, évitent d’employer un même mot de passe pour tout. Au risque de devenir paranoïaque, et de ne plus écrire qu’en langage crypté (Microsoft Private Folder; à télécharger gratuitement). Une démarche strictement interdite d’ailleurs au salarié à son poste de travail, où il peut être surveillé. C’est totalement légal, à condition que le CE de l’entreprise en soit préalablement informé.

Edwige Barron